mercredi 22 août 2007

LE DIT DU PÈLERIN (Vers Compostelle)





















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Seigneur, Seigneur
Nous avons peiné au flanc de l'âpre mont
Seigneur
Le brouillard cachait la vallée
Le roc tout à la fois
Était luisant et sombre
Nous mettions nos pas
Dans les pas des anciens
Nous écoutions sonner les chutes
Nous avons marché dans les névés
Nous avons marché dans les feuilles mortes
Nous n'avons rencontré âme qui vive
Hormis celles des Preux
Du Saint Empire Romain d'Occident
Les vautours planaient
Sur les champs de bataille
Nous courbions l'échine
Seigneur
Nous n'avions nul abri

Aux cailloux du chemin
Seigneur
Nos pieds ont été blessés
Les pluies nous ont lavés
Mais nous n'avions ni craintes ni regrets
Nous allions vers le midi
A tout petits pas
Ne cherchant rien de précis
Espérant seulement
Aller pour le moment
jusqu'à cette borne là devant
Nous avons chu souvent
Dans la boue humide
Où bien d'autres ont roulé
Depuis plus de mille ans

Nous sommes parvenus, Seigneur
Au pied de Ta maison
Aux creux du sombre vallon
Ruisseau clair hautes murailles
Vastes toits d'ardoises noires
C'était bien ta maison ?





Seigneur
Tournant à l'ouest nos visages
Nous avons dans la Navarre
Suivi le sentier des mulets
Aux berges du torrent
Écorché nos mains aux épines des branches
Nous avons vu de la truite
L'éclair sous la roche
Nous avons passé le pont
Derrière était dressée la croix de pierre
Seigneur
Savions nous où nous allions ?
Dans la gorge sauvage et sombre
Les violettes poussaient sous les arbres nus
Nous sommes entrés dans la ville
Par le pont des Romains

Haut se dressaient les tours de ton église cathédrale
Nous avons erré sous les voûtes
Seigneur
Nous cherchions Ton visage
Seigneur
L'espace était tout rempli
De princes et de princesses de pierre allongés
Bruit Seigneur
Rumeur des âges
Forteresses remparts
La nuit même était emplie de clameurs
Nous avons repris notre route
Nous Te cherchions
Seigneur

Nous avons cheminé
Sur les très anciens pavés des légions
Filant droit entre les collines et les monts
Sur la cordillère del Perdon
Des moulins d'acier brassaient le temps
Passant sous leurs ailes nous avons
Entendu des cantiques très doux
Dans la plaine les blés avaient germé
Nous sommes allés outre et le chemin
Nous a menés au pied des roches sèches
Des porches romans
Et des cloîtres ombreux
De fières ruines s'élevaient partout
Et la route montait toujours
Nous sommes passés devant des façades ornées
De blasons et d'armoiries
Seigneur
Tes églises étaient emplies de l'argent
De l'or et des pierreries
Apportés par les grands galions d'antan
Pourtant dans la lande
Éclataient les genêts
Nous allions dans le thym
Le romarin la lavande.



Le vent souffle
Seigneur
Fouette la pluie
Nous buvions aux fontaines
Dans le creux de nos mains
Partageant les figues et le pain
Sous de hautes murailles
Au bord des rivières se dressent des tours de garde
Nous avons vu le renard
Après lui courait un lévrier blanc
Seigneur
Combien ta création est belle !
Nous marchâmes ensuite
Aux arrêtes des sèches terrasses
Où se tord l'olivier millénaire

Seigneur
La vigne était noire
Ses ongles griffaient le sol
Le bourgeon seul était plein d'espoir.

Nous sommes passés sur un pont encore
Dessous le fleuve se roule jaune
Allâmes par la rua Mayor
Dans la ville
Qui nous parut grande et belle
Les trottoirs étaient ornés de coquilles d'or
Nous suivîmes ces marques
De Monsieur Saint Jacques
Ciel noir et noirs les murs
Cathédrale fermée de grilles lourdes
Cependant qu'au mur de l'église royale
L'Apôtre caracole et fait flamber l'épée
Seigneur
Nous sommes passés plus avant
Dans le panthéon de Najerra
Nous avons vu encore des rois allongés
Des reines aux joues de marbre blanc
Velours
Mais sarcophages creux
Avec sans doute un peu de poudre dedans
Seigneur Seigneur
Viennent les temps !



Au tombeau de Santo Domingo le coq a chanté
Son chant étant de bon augure
Nous a paru plus léger le poids du sac
Moins ardente la brûlure de nos pieds
Seigneur
Nous marchions vers Toi
Traversant le pont sur l'Oja
Nous quittions la Rioja
Seigneur Seigneur
Courbés sous le vent sous la neige et sous la pluie
Peinant dans la boue et dans l'ornière
Nous avons suivi le droit chemin désert
Qui coupait la forêt aux branches noires et nues
O Dieu !
Que le chemin nous fut ardu
Dans les monts de Oca !
Nous arrivâmes dans la nuit
A San Juan de Ortega
A la tour la cloche sonnait
Tandis que roulait le tonnerre
Et que les cieux se déchiraient
Seigneur nous avions beaucoup marché !

A Burgos, capitale de la Castille
Nous avons salué sous la voûte gothique
Chimène et le Cid
Les tours veillent sur des trésors
Où étais Tu ?
Nous T'avons cherché, Seigneur
Au long des jardins et des murs
Nous T'avons cherché autour des cloîtres et des hospices
Sous les portes et dans les rues
Nous sommes sortis par un grand pont
Nous avons par un chemin très plat
Très droit
Marché encore vers des châteaux en ruines
Vers des fontaines
Des hospices et des églises
Combien de croix
Combien de bornes ?
La berne était marquée de coquilles
Nous peinions sous le vent
Adios companeros !
Nous avons salué les anciens couchés
Dans les champs du repos







Seigneur Seigneur
C'est je crois sur la voie de Castille
Allant tout au long des jours qui n'en finissaient pas
Que nous avons commencé à prier
Pélerins devenant sans doute vraiment ici
Un pied suivant l'autre
Je crois que j'ai chanté à haute voix
Seigneur
Les litanies de tes saints
Ora pro nobis
Cheminant les uns derrière les autres
Sur la terre rouge
Seigneur à force de prier
Nous finissions par ne plus penser à rien
Tu marchais à côté de nous
"Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie" !
Nos esprits étaient pleins Nous avons lu l'Évangile
Aux chapiteaux sculptés
De Saint Martin de Fromista
Pierre blonde
Les uns derrière les autres
Un kilomètre après l'autre
Les plaines emblavées
Faisaient à perte de vue
Comme un océan.
 Tu marchais à mon côté
Seigneur
Passant par Sahagun
Une vieille femme au détour
Offrait des biscuits
Seigneur
Bénis cette femme et bénis
Le cordonnier qui recousit mon soulier

Argile du chemin
Adobe des murs
Argile crue mêlée de paille
Adobe jaune
Des maisons retournant à la terre
Canaux d'irrigation

Et le vent qui n'en finit pas ...
Le vent le vent brisant les arbres rares
Trop jeunes plantés
Seigneur, que disait le vent aux créneaux des murailles ?
Santiago Santiago
Seigneur c'est tout droit !

De Léon nous pouvons dire
Les lumières de cent fenêtres
A l'église cathédrale
Et leurs milliers d'images
Aux murs nous avons vu
Passant l'hospice de San Marcos
Statues coquilles et croix
Depuis mille ans les pèlerins
Passent par là
Seigneur
Seigneur je T'espérais
A nouveau j'ai marché, Seigneur
Reprenant mes chants

Nous avons traversé la ville fermée
Dont le mur est dressé sur les cendres latines
Seigneur nous avons gravi des pentes encore
Laissé à la Croix de Fer le poids de nos péchés
Nous avons
Seigneur
Épais était le brouillard
Déposé notre pierre sur le montjoie

Tous Tes saint étaient là
Clercs et brassiers
Les superbes et les humbles
Ceux qui allaient à cheval
Ceux qui allaient les pieds nus
Ceux qui étaient chaussés
Ayant large cape ou bien vêtus de hardes
Parlant Germain
Parlant Latin
Barbus ou glabres
Jeunes ou vieux
Mâles et femelles
Petits ou grands
Allaient devant les plus anciens
Derrière venaient les contemporains
Fredonnant tous à bouche fermée
Et c'était là très ample cantique
Pécheurs et justes
Seigneur
Seigneur nous fûmes
Réconciliés dans la pierre
Et le vent glacé du mont
Nous avons prié longtemps
Nos jambes étaient lourdes
Mais nos coeurs si légers !



                  

(LES PHOTOGRAPHIES REPRODUISENT LES STATUETTES DE L'ÉGLISE DE MOISSAC. ELLES REPRÉSENTENT LA "FUITE EN ÉGYPTE).











Seigneur nous sommes allés encore
Par les vallons de Galice
Bruyères et genêts
Les collines étaient roses et jaunes
L'orage nous prit sous la grêle
Nous marchions cependant
L'allégresse nous portait
Entre rhododendrons et camélias
Passés Portomarin et son lac
Palas del Rei
Où ne sont plus ni rois ni palais
Nous avons croisé des peuples très anciens
Entendu des musiques très vieilles
Et des paroles très belles
E Ultreïa vers Santiago !
Sommes passés plus outre encore
Plus haut plus haut Seigneur
E Suseïa !
Plus haut nos coeurs plus légers !

Nous sommes entrés dans la Sainte cité
Seigneur
Sous la pluie nous avions marché
Toute une matinée encore
Longé d'interminables murs noirs
Les bâtons avaient sonné
Sur le béton sur les pavés
Les marchands dans les rues vendaient des médailles
Boissons, jambons, saucissons

Les carillons sonnaient à la volée
Nous tombâmes tout à coup
Aux marches du parvis

Nous accomplîmes les rites aux autels
Seigneur
Trop d'or encore
Trop d'argent dans Ta cathédrale
Trop de couleurs sous les voûtes
Mais en moi Ta lumière est très douce
Seigneur, je T'emmène avec moi
Seigneur
Plus ne cesse de marcher




1999